29 Août REVENONS À PIC !
— Ces digressions perpétuelles, n’est-ce pas un peu lassant ?
— Si, si, bien sûr ! Revenons donc à notre mouton, comme disait l’autre, c’est à dire à Pic de la Mirandole.
Un discours jamais prononcé
Jean Pic de la Mirandole est jeune et dévoré d’ambition. Il est pressé d’en découdre, mais il ne veut pas d’une de ces « disputes » de pacotille, bonnes pour les étudiants de la faculté des arts. Il veut un débat du plus haut niveau, avec la plus grande publicité possible, donc à Rome, capitale de la chrétienté.
Il arrive à Rome fin 1486. Ses 900 Conclusions sortent des presses de l’imprimeur Eucharius Silber le 7 décembre. Imprimé à la hâte, le texte fourmille d’erreurs typographiques, mais son colophon annonce que le débat aura lieu « après l’Épiphanie », c’est-à-dire dès le mois suivant. Il précise : « Si quelque philosophe ou théologien voulait, même au-delà des limites de l’Italie, se rendre à Rome pour participer à la discussion, le Seigneur lui-même, en vue de la dispute, promet de lui rembourser les frais du voyage. » Il veut pouvoir affronter tous les contradicteurs possibles, pourquoi pas venant de pays lointains, et éventuellement des juifs ou des musulmans. Pour en assurer la plus large diffusion, Pic fait placarder l’annonce de la dispute en divers lieux publics.
Le défi est de taille : les 900 Conclusions forment un très gros livre, écrit dans un latin érudit et rébarbatif, émaillé de formules en grec et en hébreu (ces dernières laissées en blanc par l’imprimeur qui ne disposait pas des caractères nécessaires). Elles sont rédigées dans le style que l’on nomme « parisien », jargon utilisé par les docteurs scolastiques de la Sorbonne, doté d’une implacable précision autant que dépourvu de poésie. Leur seule lecture demanderait plusieurs jours et Pic propose donc un débat-marathon — il escompte sans doute que les contradicteurs ne l’attaqueront que sur quelques conclusions isolées.
Second handicap, et sans doute pas le moindre : l’auteur est un tout jeune homme — même pas ecclésiastique — qui prétend en remontrer à des docteurs en théologie confirmés. Or, il est impossible d’obtenir le précieux doctorat avant trente-cinq ans, si bien que ses contradicteurs auront vraisemblablement, dans le meilleur des cas, le double de son âge. Il avouera d’ailleurs à la fin de son Discours : « Ce qui est certain — je vais le dire en effet, quoique sans modestie et contrairement à ma nature, parce que les envieux et les détracteurs m’y forcent — c’est que j’ai voulu prouver par ce débat non pas tellement que je sais beaucoup de choses, mais que j’en sais que beaucoup ne savent pas. » Ce genre de remarque n’est pas fait pour attirer la sympathie.
Au final, ses ennemis s’organisent et circonviennent le pape Innocent VIII, si bien que le souverain pontife fait interdire le débat sine die, jusqu’à ce qu’une commission ad hoc se prononce sur l’orthodoxie des Conclusions. La commission se réunit en mars. Elle comprend 16 théologiens choisis parmi les plus hauts dignitaires de l’Eglise. Pic refuse de se rendre aux convocations, ce qui aggrave évidemment son cas. Après des débats orageux, la commission condamne 13 conclusions pour des motifs allant de la simple « offense aux oreilles pieuses » à l’hérésie caractérisée.
Pic réagit immédiatement en écrivant en hâte une Apologie, dans laquelle il maintient et développe les thèses incriminées, avant même que le pape n’ait prononcé son jugement. Celui-ci prend très mal la chose et convoque le rebelle devant l’Inquisition. Le 31 juillet, Pic se résout à signer un acte de soumission par lequel il s’engage « à ne plus défendre ces doctrines, parce que Sa Sainteté et ses représentants jugent qu’elles ne peuvent pas l’être. » Le 4 août, une bulle condamne la totalité des 900 Conclusions et ordonne, sous peine d’excommunication, que tous ses exemplaires soient détruits par le feu — bien que leur auteur ne soit pas blâmé personnellement car « il s’était toujours placé sous l’autorité du Siège apostolique ».
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